mardi 7 janvier 2014

Le Bal Des Flocons

Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, et la blancheur infinie qu’elle parsème de ses pas légers confirme les dires des anciens.

Sous ses pieds s’étend un tapis aux reflets d‘ivoire, immaculé, encore inviolé et baigné par les vagues reflets de la lune. Un masque pur et blanc posé sur l’horreur du monde et que peut-être bientôt des gouttes de vie aux teintes pourpres et douloureuses souilleront. Le pont s’étire dans le silence des dernières heures de la nuit, paisible sous la valse des millions d’étoiles blanches qui s’affalent sur le sol dans un soupir.

Elle enjambe la barrière en écrasant ses mains sur le métal brouillé de givre qui dépose de fines morsures sur sa peau froide. La voilà au bord du vide, au bord de l’infini, encore en vie, à un pas de la mort. Prête pour le saut de l’ange. Sa dernière danse, elle l’accordera au vent. Son dernier sourire, lui, a été effacé depuis longtemps.

En contrebas, la rivière sanglote entre ses rochers acérés moulés de givre. Les arbres morts grelottent sous leur cape teintée d’argent et pleurent parfois une feuille rouge, pareille à une goutte de sang, qui coule lentement dans l’infini silence.

Un léger vertige l’étourdit, l’air froid hurle l’écho de sa tristesse. Puis un étrange brouillard éteint ses pensées, elle avance sans le vouloir, poussée dans le vide par la main glacée du destin.

Sous ses pieds, le monde s’écroule soudain. Tout tremble, la rivière devient floue, les berges disparaissent sous les vertiges. Un maigre rayon de lune transperce l’opaque atmosphère matinale, esquissant sur l’eau tremblante un long filet d’or.

Le corps fin tombe lentement dans l’au-delà, dans l’ailleurs inconnu, balancé dans les courants d’air rieurs. Les longs cheveux blonds dansent entre les flocons. Elle semble voler, la morsure du froid parsème ses joues d’éclats de framboise. Ange tombé du ciel, prête à rejoindre l’enfer, plus rien ne peut l’arrêter, la sauver, ou la consoler. Le ciel se dérobe sous ses pieds, elle ferme les yeux pour ne pas imaginer. Déjà presque morte, encore terriblement vivante, elle ne sent plus le froid, elle n’entend plus les voix.

Les secondes coulent doucement, lentes, précises, laissant filer un à un les mètres glacés qui la séparent du salut. Et toujours cette douleur qui découpe dans son cœur des lambeaux d’humanité. Puis la honte, qui vient s’y ajouter, et la peur qui se fait plus amère, plus horrifiante, et toujours incurable. Chaque couleur de ce morne tableau s’efface à ses yeux au profit de l’arc-en-ciel de sensations qui brûle sa peau.

Puis vient la fin. Un fracas indescriptible Une douleur éphémère, puis le vide devant l’éternel. Comme les branches sèches des arbres sous les baisers du vent, ses os se rompent dans un craquement aigu. Sa faible existence s’éteint comme une flamme tremblante dans les courants d’air. C’est une âme dans toute sa complexité, l’empreinte de milliards de pensées qui se fond dans l’infini et s’écoule lentement en suivant le courant des fins ruisseaux de sang qui souillent l’inoubliable pureté blanche. Morte dans cet hiver qu’elle a si souvent aimé, elle est lavée de ses hontes par les gouttes d’argent que pleure le ciel sur son dernier souffle.

6 commentaires:

  1. Tu te lance dis-tu mais tu fais fort pour ce premier récit.
    La poésie et la beauté des mots font presque oublier la tragédie de la scène. Mais ma conscience se réveille tout-à-fait en réalisant qu'il n'y a pas de happy end.
    Tu as vraiment un don pour l'écriture, pour emmener le lecteur dans ton monde en peu de phrases.
    Je me réjouis de te lire encore.

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour ce commentaire, ca me touche beaucoup :D <3

    RépondreSupprimer
  3. Très jolie sensibilité, intense et diaphane à la fois. Un univers laiteux et profond dans lequel il ne m'a pas été difficile de me projeter. Ecrivez encore !

    RépondreSupprimer
  4. Beaucoup de poésie pousse derrière ce texte. De l'observation, de l'imagination, du sentiment, de la métaphore, une histoire se tisse sous nos yeux. En marchant, les mots superflus s'écarteront naturellement pour laisser place à l'essentiel de l'idée. C'est un très bon début...
    Jonas

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup Jonas pour tes commentaires sur mes textes. Ton avis m'est précieux :)

      Supprimer